L'adolescence

L’ENTRÉE DANS L'ADOLESCENCE

L'apparition du terme « pré-adolescence » est récente et semble témoigner d'un phénomène nouveau : on se prépare désormais à l'adolescence. Dès le CM1 ou CM2, nombre d'enfants prépubères commencent à emprunter certains de leurs comportements aux adolescents, à copier leur langage, à se déguiser en ados.

La préadolescence met fin au calme relatif de la moyenne enfance que l'on appelle la période de latence. On considère classiquement que l'enfant ayant atteint l'âge de raison parvient à mieux maîtriser son excitation et à mettre à distance son affectivité. Cela permet le déploiement de sa vie intellectuelle et l'investissement des apprentissages. En réalité, cette période de latence tend à s'abraser et les différences entre les âges de la vie à s'estomper. On le constate dans nos consultations : enfants revendiquant le droit à être « en couple », parents qui disent que leur enfant de 8 ou 9 ans rebelle commence son adolescence, jeunes adultes qui tardent à prendre leur autonomie, ou encore adultes qui prennent comme valeur celles de l'excitation, de l'instantanéité et de la jeunesse, à l'image de celles de notre société.

L'entrée au collège tend à être associée, surtout en ce qui concerne les filles, avec l'entrée dans la puberté. C'est un passage souvent appréhendé par l'enfant, plus ou moins pressé ou inquiet à la perspective de cette plongée dans ce nouvel environnement qu'est le collège. La perspective en sera différente si un frère ou une sœur aîné l'a familiarisé avec ce nouveau territoire, s'il se débarrasse ainsi de la présence d'un cadet laissé ainsi à son rang de petit, si ses copains du CM2 vont dans le même collège que lui... c'est souvent aussi l'occasion pour les parents de réaliser que leur enfant a grandi et qu'il n'est plus vraiment un enfant. Parfois, cela va augurer pour lui de nouvelles libertés qu'il pourra vivre comme des marques de confiance dont il se sentira grandi, ou inquiet : rentrer seul du collège, prendre le bus seul, avoir un smartphone. C'est un âge ou les jeunes sont encore très raisonnables, et où on peut les laisser seuls à la maison après leurs cours sans craindre un accident.

Entrer en 6eme, c'est aussi passer du statut de grand, volontiers condescendant à l'égard des plus jeunes de l'école primaire, à celui de petit au collège. Bien souvent, le pré-adolescent se sent plongé dans un monde qui n'est pas encore le sien: le contraste est souvent saisissant, encore plus chez les garçons, entre un grand garçon de 6ème et un adolescent de 3ème ayant effectué son fameux pic de croissance...

L’ENTRÉE DANS LA PUBERTÉ

On a coutume d'entendre que la puberté inaugure l'adolescence. La puberté est un phénomène physiologique marqué par l'apparition des caractères sexuels secondaires, qui traduisent le développement progressif et définitif des organes sexuels. Elle débute de plus en plus tôt : entre 1850 et 1950, dans les pays développés, l'âge de la puberté gagnait à peu près un an à chaque génération. Depuis les années 50, il se stabilise aussi bien pour les filles que pour les garçons. Aujourd'hui, l'âge de l'apparition des premières règles est en moyenne de 11 ans et 9 mois.

Le pendant psychologique et social de la puberté est l'adolescence, faite de transformations psychiques et relationnelles. C'est une phase du processus de croissance qui concerne chaque garçon et chaque fille, et qui prépare la maturité, c'est à dire la possibilité de s'identifier aux figures parentales et à certains aspects de la société sans trop sacrifier le désir personnel.

LE TRAVAIL PSYCHIQUE DE L'ADOLESCENCE

Le garçon ou la fille de cet âge doit affronter les modifications qu'entraîne chez lui la puberté. Comment l'organisation de la personnalité de l'enfant, construite dans les expériences de la petite et de la moyenne enfance dans les relations avec ses figures parentales, va-t-elle faire face à cette nouvelle poussée pulsionnelle ?

Lors de la phase dite de latence, celle de la maîtrise des apprentissages et de la motricité, l'enfant peut penser qu'il a le contrôle de son développement. Les transformations corporelles de la puberté viennent le mettre dans une certaine passivité : il ne maîtrise pas du tout les changements de son corps qu'il peut donc ressentir comme une sorte de violence subie. Il ne sait pas à quoi cette aventure va aboutir, et cela vient introduire le doute, l'indéfini, le trouble.

La poussée pulsionnelle pubertaire va venir réveiller le complexe d’œdipe, qui était resté relativement silencieux -chez les enfants qui vont bien- pendant les années d'école primaire: le corps se sexualise, se renforce, et les fantasmes œdipiens deviennent concrètement réalisables. La présence des parents, idéalisés et rassurants pendant l'enfance, deviendra peu à peu gênante, trop chaude, source d'une excitation que l'adolescent n'a pas encore les moyens de gérer. En présence de ses parents, il aura ainsi le sentiment d'une invasion et d'une promiscuité permanentes, comme si le seul fait qu'ils soient là impliquait un contact physique, source de réaction de rejet ou de dégoût. Cette mise à distance physique va se traduire par une modification des espaces au sein du territoire familial : fuite des espaces communs, recherche d'un espace privé, investissement d'espaces extra-familiaux.

La présence des parents à l'intérieur du psychisme -les imagos parentales intériorisées- sera elle aussi mise en question, à distance, et avec elle, c'est tout le sentiment d'identité du pré-adolescent qui va s'en trouver remis au travail, en perspective. Les conflits identificatoires de l’œdipe vont être réactualisés, et les questions de séparation-individuation de la petite enfance aussi : l'adolescence est un révélateur de la qualité des acquis des premières années de l'enfance. Il s'agira bien une nouvelle fois pour le sujet de se construire lui même en tant qu'individu, pour se séparer de ses parents et devenir sujet autonome de ses désirs.

Celui qui est ainsi entre deux âges se retrouve bien souvent pris entre deux feux, entre des mouvements internes contradictoires : l'envie de grandir mélangée à la nostalgie de l'enfance, le besoin de s'affirmer allié à la peur de la confrontation avec le monde extérieur, l'indépendance qui défie mêlé au besoin de dépendance régressive. Ces contradictions, ou ces alternances, peuvent être déroutantes pour l'entourage du jeune. Et pour celui-ci, elles se traduisent souvent par une tension interne qu'il a beaucoup de mal à traduire en mots, qu'il subit sans vraiment comprendre. Les adolescents sont souvent trop pris dans leurs contradictions pour pouvoir demander eux-même de l'aide, mais aussi pour formuler leur mal-être.

Si la majorité d'entre eux pourra effectuer cette grande traversée dans les vents contraires en allant, globalement, relativement bien, d'autres saboteront leurs potentialités, et développeront des attitudes qui sans être pathologiques, deviendront pourtant pathogènes. Les rencontres qu'ils feront avec les adultes seront déterminantes dans les destins pathogènes ou créatifs que prendront les uns et les autres faces aux mêmes facteurs de vulnérabilité.

SAVOIR ET APPRENTISSAGES A L'ADOLESCENCE

L'investissement de la pensée change à la puberté. Dès 10-12 ans, le jeune atteint un stade de maturité de la pensée décrit par Piaget et appelé la pensée formelle. Elle va lui permettre de s'intéresser à ses propres pensées, à investir la conscience de soi : "Pourquoi je pense ça ?" "Et si je pense ça, qu'est ce que l'autre va penser, en fonction de ce que je viens de dire ?" Il découvre la réciprocité: "Alors je lui ai dit ça, il m'a répondu ça." " S'il a dit ça c'est qu'il pense ceci." Il peut s'intéresser à son espace interne.

Face aux apprentissages, cette intériorité est nécessaire, autant qu'il est nécessaire de prendre le temps : il faut bien accepter de ne pas savoir pour apprendre, et supporter qu'il s'écoule un moment entre l'énoncé du problème et la découverte de sa solution. Ce temps d'attente, de souffrance (dans le sens étymologique du terme, souffrance vient de suffere, attendre), de solitude, renvoient le jeune à l'impuissance et au doute sur lui-même. Si bien que certains ne peuvent pas s'y confronter et auraient besoin d'avoir la réponse avant même qu'on leur pose la question.

Dans notre époque du numérique, on est très nettement dans l'immédiateté, l'important étant de donner la réponse en temps réel comme si l'on voulait annuler l'idée même de la durée. Avec les nouvelles technologies, toutes les informations sont à disposition, potentiellement, sur cette grande et formidable bibliothèque universelle qu'est internet, comme si notre savoir étaient externalisés dans un ordinateur. Il n'est plus question comme avant d'appropriation du savoir, d'a-pprendre au sens de prendre en soi. Dans quelle mesure la société actuelle permet-elle aux jeunes de maintenir cet investissement de leur espace interne ? Comment notre société pressée peut-elle supporter cette souffrance, cette incertitude nécessaire pour se trouver ?